2 juin 2007

La route de la mort

Samedi 2 juin

Valbonna -Fushe Arezi (sur la route Shkoder –Kukês)
A vélo 115kms dont 69 de piste

A 5h je finis mon journal de bord et à 6h je descends avec mes sacoches.Je rève d’un café turc .
La mère d’Hadjet descend quelques mn plus tard, puis son mari.Elle me fait signe de m’asseoir sur une banquette et me tend un coussin .Son mari doit lui dire que j’ai froid car elle m’apporte un verre de raki .C’est fort ;je montre le vélo , fait semblant de pédaler de travers et j’en prends une gorgée.Je n’ai jamais bu meilleur café que ce café turc.Je suis comblé dans cette famille et je regrette de ne pas parler leur langue pour le leur dire et bien d’autres choses.Je les remercie(falemindérit) et leur dit aurevoir ((miropafshim).Bajram m’accompagne pour m’ouvrir le portillon.Que d‘attentions !
Un peu plus bas je m’arrète au bas du torrent pour un brin de toilette.
Alors que je ne redoute pas loups et ours j’appréhende les chiens de berger.Sur la piste je fais bien attention de ne pas abîmer le vélo et je ne descends guère plus vite qu’à la montée.
Je croise plusieurs troupeaux de brebis .Une vieille femme suit son unique vache qui broute les bordures.
Un papa avec un bébé dans les bras accompagne son fils aîné au bus scolaire.
A Bajram Curry même ambiance .J’achète des bananes à un vendeur de 25 ans au regard haineux.
A la femme qui me précède ,pour le même achat il a rendu de la monnaie sur 100 leks pour l’achat de 4 bananes .J’effectue le même achat et je demande le prix .Il ne répond pas .Il veut me montrer dans mon porte monnaie et commence à prendre un billet de 500 leks.Je refuse énergiquement .Il est obligé d’attendre que je jui donne un billet de 100 leks.
Bien entendu je ne revois pas la monnaie.
Un homme me regarde avec un sourire sympathique .

Je lui demande de me prendre en photo ,ce qui me permet d’avoir une vue de la rue principale que je n’ose pas photographier.Dans un mini market je fais mes courses pour 500 leks.Le patron a une tète avenante mais fait les comptes à sa façon .J’ai laissé mon vélo devant coincé dans un renfoncement.Quand je sors du market un homme a le nez fiché sur mon compteur.
Je ne suis pas faché de quitter Bajram Curry et je descends sur Fierze par une belle journée.
A la sortie du village un grand panneau bleu indique Tirane ,c’est la direction que je dois prendre .La route, bordée de peupliers ,qui longe la rivière est en bon état et large.500mètres plus loin elle vient butter contre un barrage.

Il n’y a plus de route!
Il y a bien à droite un mauvais chemin qui franchit le pont.A tout hasard je demande à un couple »Tirane ? »Po,Po.ce qui veut dire oui…
Je dois me rendre à l'évidence c'est par là que l'on va à Tirana..La pente est très raide et les ornières profondes ;les rares voitures roulent à 25kms/h



Des miettes d’asphalte attestent qu’il y a bien eu une route ici et j'en conclus que cela peut s'améliorer.Il me faudra attendre 3 heures .

Ma carte indique 32 kms pour rejoindre la route de Kukès Les montées à 10 et 14% se succèdent avec quelques courtes descentes.La vue est superbe sur le lac artificiel qui s’étend jusqu’aux confins du Kosovo.
La configuration de la route fait penser au golfe de Porto en Corse avec des entrées de vallées qui se succèdent interminablement.

Des stèles funéraires avec le portrait des défunts se succèdent au bord de la route et me rappellent que je suis dans la région du Kanun .

                                Il avait 22 ans.

                                     Il avait 34 ans
Le Kanun est un  droit coutumier qui règule à partir du 15ème siécle tous les aspects de la société,mariage,famille,travail mais surtout la veangence.C’est la vendetta ,la dette de sang :la perte de la vie ne peut ètre rachetée que par une autre vie.
L'hospitalité est aussi une obligation du Kanun.Un invité est sous "la besa",(sous la protection )de ses hotes qui devront le veanger en cas de meurtre.

       La mort est souvent au détour d'un virage,ici un bouquet de fleurs en guise de stèle.

Un étranger n’a rien à redouter de ces coutumes.Interdites sous le régime communiste elle ont fait de nombreux morts en 1991 et 1997 quand le pays était devenu ingouvernable.

                             Pourtant que la montagne est belle.

Cette région était mal contrôlée sous le régime d Enver Hohxa et les troupes ottomanes n’osaient pas s’y aventurer.L'écrivain Albanais Ismail Kadaré a consacré au Kanun son roman intitulé« Avril brisé.

Une voiture ou deux passent dans l’heure suivies d’un nuage de poussière.

Les rares habitations ne sont pas implantées au bord de la piste .


                    Au loin les montagnes de Valbonna

En 7 heures je vais apercevoir 2 enfants qui jouent devant une maison,un camionneur arrêté à une fontaine,un berger de 60 ans et 2 ados qui me hèlent au passage.J’avais estimé que après 10 ou 15kms de montée je devrais avoir une longue descente .Il n'en sera rien .
Cela ressemble à un cauchemard qui ne finit jamais.La déception est permanente car jamais je n’atteins de sommet,de col.A une courte descente succède une interminable montée et je me demande quand je vais redescendre.
Au 30ème km l’asphalte est de retour.Arrêt à une fontaine à l’eau glacée.Voilà bientôt 7 h que je bataille sur cette piste,la route semble s’insinuer dans une crète rocheuse et enfin  le col est là!Le çafà de Sallakutà 849m d’altitude.Que trouverais je derrière ?
Une courte descente et je rejoinds la route de Kukès à Shkoder.En me retournant je découvre un panneau érodé  indiquant  Bajram-Curry 69kms.
En 7h j’ai parcouru 67kms ,entre Fierze et ici pourtant la carte en indique 32.Je soupçonne le cartographe de s'ètre économisé un déplacement sur le terrain et d 'avoir trouvé le kilométrage à partir d'un curvimètre.
La route de Kukès est large et récemment goudronnée mais guère plus fréquentée.En amont le Kosovo est à une vingtaine de kms.
Soulagé je me laisse glisser dans la décontraction la plus totale.Un peu avant Fushè Arrezi l’hotel restaurant Bora apparaît.Il est 17h30,je décide qu’avec 115 kms cela suffit pour aujourdhui.On y parle seulement Albanais et je dois sortir mon dico .Le patron et un client me demandent d’où je viens et si d’autres personnes sont avec moi .Ils sont médusés quand je leur ditque je suis venu seul depuis Valbonna.
Je vais payer 500 leks (4euros) pour une chambre de 6 lits(record battu) et 350 leks pour un repas copieux comprenant 3 steacks,légumes,salade,fromage.
Je suis le seul client de l’hotel.Le patron me dit « no problem,segurri"(pas de problème de sécurité).Pourtant quand je récupère mon vélo dans le garage le lendemain matin, un fourgon a été garé de telle sorte que l’on ne puisse pas ouvrir la porte la nuit et le chauffeur n'étant pas là nous devons brandir le vélo à bout de bras pour franchir le fourgon.


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